(BNK)
"Penser disait Kant, c'est unifier des représentations dans une conscience"
En admettant que la pensée (quoi qu'on en pense !) soit ce dialogue intérieur de l'être avec son âme, ou comme disait Platon " ce dialogue silencieux et intérieur de l'âme avec elle-même" elle tente d'appréhender, d'analyser, et diront-nous de donner quand cela est possible un sens, au réel.
Mais qu'est ce que le "sens ?"
On désigne par sens, essentiellement trois choses.
La sensibilité (le touché, la vue…), la direction ( rouler dans le sens de…) et la signification( le sens d'un mot, d'une phrase, ou une pensée…).
Commençons par la troisième définition.
Il nous est clair qu'une phrase n'a de sens dans "ce qu'elle veut nous dire", le but vers lequel elle tend.
Si on vous dit: "il va", vous vous demandez instantanément: où, dans quel but et pour quel raison?
"Il va", même si désigne une action, ne donne aucun renseignement quand au "sens" de cette action. Cette phrase donc accomplit sa fonction de désignation (l'action "aller"), mais pas sa fonction de signification.
Il en est de même pour un mot. Le mot chaise désigne un objet de forme multiple peut-être mais qui "sert à s'asseoir".
Quel sens aurait une chaise si personne n'y s'asseyait.
Imaginons un homme d'aujourd'hui qui se trouve par un miracle dans un avenir très lointain, où les hommes n'ont plus besoin de s'asseoir( ne possédant plus de corps!!). Même en leur expliquant à quoi ressemblerai une chaise (en décrivant le référant, l'objet "chaise), notre homme aurait toutes les difficultés du monde pour faire comprendre la signification de cette dernière. Car à ces hommes du futur le concept même de la chaise est étranger.
Donc un signe, un mot, n'a de sens que par ce que j'appellerais sa "raison d'être", et qui se trouve en dehors de lui. Autrement dit un mot n'a aucune signification par lui même ou pour lui même. Il n'a de sens que pour le "sujet" pour qui, il renvoie à quelque chose.
A.C.S donne une définition très juste du "sens" qui est la suivante: "vouloir dire" vouloir faire, "un but vers lequel tendre". Et il rajoute:
Il n'est de sens que là ou intervient une volonté ou quelque chose qui lui ressemble.
C'est pourquoi il n'est de sens que pour le sujet.
Quant au sens - direction, cela est encore plus flagrant:
Un train partant de paris pour Nice en passant par Lyon roulerait de droite à gauche pour un voyageur situé sur un quai, et dans le sens inverse pour un autre se trouvant sur le quai d'en face.
Le même train pourrait se dire "un train pour Lyon" pour celui qui veut descendre à Lyon et "un train pour Nice" pour celui pour continuerait jusqu'au terminus.
Répétons le: Il n'est donc de sens que pour le sujet.
Et précisément, c'est là où le bas blesse. Expliquons- nous:
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Un mot avant tout, à une fonction de désignation.
Ce qu'on appelle "désignation" ou "dénotation" est le rapport qui existe entre le signe et son référant.
Entre le mot et ce à quoi il renvoie.
Il faut donc utiliser "la bonne désignation". Ou si vous préférez, le bon mot pour le bon référant.
Prenons un exemple
Qu'est ce qu'un avion?
Le dictionnaire nous dit………
Soit. Si nous convenons ensemble de cette définition, on ne pourra en aucun cas appeler un oiseau, un avion sous prétexte que tout deux volent Car quoi qu'on en fasse un oiseau reste un animal et un avion un objet.
Rappelons que l'oiseau n'est pas un signe, ni plus que l'avion d'ailleurs. Leurs sens respectifs n'appartiennent qu'à la sphère des idées. Il ne reste cependant aucun doute sur la différence entre l'idée de " l'oiseau" et celle de "l'avion".
D'un autre côté si on utilise cet avion, non plus pour voler mais pour entreposer de l’objet, pourrons nous pour autant l'appeler un entrepôt. Je ne le pense pas, car sa fonction première reste de "voler". Et ci cette fonction change, c'est le concept même de l'objet qui s'en trouverai changé. Celui de l'avion disparaissant au profit de celui de l'entrepôt. Si telle est le cas définitivement, alors il conviendrait de l'appeler plutôt entrepôt.
Il existe évidemment (et fort heureusement) des cas où l’esthétique (la poésie), la prudence (politique),
La politesse ou même l'amour nous invitent à employer un langage détournée (par exemple on pourrait désigner un avion sous la forme suivante: "un oiseau d'acier") mais dans ces cas il s'agit d'un acte conscient et voulu, qui vise un résultat calculé.
Nous devons donc convenir de signes différents pour des concepts différents, et utiliser le bon, si nous voulons éviter la confusion.
Comme le décrit si bien Arendt, ce n'est pas parce qu'un jour vous utilisez le talon de votre chaussure pour enfoncer un clou, que vous pourrez l'appeler marteau.
Je citerais pour finir l’exemple de mon filleul âgé de 4 ans qui un jour alors que nous marchions me dit soudain avec une réelle excitation: Regarde Parrain regarde l'épée, c'est l'épée d'Excalibure.
Nous étions dans la rue. Alors tout étonné que j'étais, je me suis mis à chercher du regard une épée éventuelle dans les parages. Mon filleul qui compris que je n'avais pas saisis son propos me lança: Mais regarde vite il va disparaître. Disparaître me dis-je, mais de quoi il parle?
C'est alors qu'il pointa son doigt dans la direction du ciel, et je compris qu'il parlait en fait d'un avion de ligne qui dessinait dans le ciel une traînée blanche.
Je lui dis alors qu'il s'agissait en fait d'un avion, ce qu'il a très mal pris, car son institutrice lui avait expliquait formellement qu'on voyait était l'épée magique d'Excalibure. Pour mon filleul à cet instant, l'avion n'avait aucune réalité. L'objet qu'il voyait dans le ciel était bel et bien une épée. Et ceci non parce que son imagination le lui faisait voir, mais parce qu'on lui avait dit que cela s'appelait de sorte.
Voyant que mon explication l'irritait je laissai tomber, trouvant après tout la comparaison très poétique.
Cet exemple semble très anodin, et sans conséquence, et il l'est. Car il appartient au monde de l'enfance et à la sphère de la poésie. Mais imaginons, l'espace d'un instant, le même malentendu dans le monde des adultes.
Il s'en suivrait une incompréhension totale, de telle sorte que les conséquences pourraient être plus que fâcheuses.
Mais un signe a une autre fonction plus que celle de la "désignation". Celle de "La signification".
Nous avons dit qu'aucun mot ne « se signifie », puisque renvoyant à un référant.
Une fois que nous savons comment désigner une chose, nous devons aussi convenir ensemble et dans la mesure du possible à quel concept le mot renvoie. Ce qu'il "signifie"
Et c'est là où le bas blesse ; beaucoup.
Si cela paraît couler de source en ce qui concerne un objet, le dit rapport entre le signifiant et le signifié (sa réalité intellectuelle), me paraît bien plus difficile s’agissant d’un concept, d’une idée.
Comment alors avoir même définition "mentale" du signifié, lui même concept et idée ?
Autrement dit, est - il possible de "convenir ensemble", d'avoir la même conception, de sentir et "ressentir" la même chose, bref d'avoir la même "image mentale" d'une idée tel que : le bien, la beauté, l'ordre ou le bonheur pour ne citer que celles-ci?
Prenons l'exemple d'un politique qui promet d'instaurer l'ordre.
Bien, mais le problème est de savoir de quel ordre il s'agit. Qu'est ce que l'ordre après tout?
N'est-il pas comme disait Conche" un cas particulier de désordre"?
Un désordre commode à mémoriser et à utiliser?
Si tel est le cas, l'ordre serait donc différant pour chacun. Comment alors convenir de la proposition de notre politique?
Et si le même politique promet de rétablir "la liberté".
Qu'est ce que la liberté? Celle de l’action ? Sûrement pas car elle équivaut à l'absence de tout événement ou volonté susceptible "d'empêcher" la réalisation de la dite « action ».
Dans le cadre d'une société, elle équivaut à l’anarchie. Il existe toujours un "empêchement", et dans un Etat de droit, le premier en est la Loi: ma liberté s'arrête où commence celle des autre.
Liberté de la volonté ? Peut-être.
Or je veux par définition ce que je veux et non ce que je ne veux pas. C'est ce que CS appelle la spontanéité du vouloir. Si je veux, c'est forcement que je veux librement, sinon je ne voudrais pas ou je ferais semblent.
Mais qu'est ce qui nous fait vouloir? Est - on réellement libres de vouloir? Sommes nous vraiment indépendants dans nos désirs et nos volontés?
Je ne le pense pas. C'est une erreur que de croire que la volonté même si nous sommes libre spontanément est indépendante de la nature, de l'histoire et du réel, duquel nous ne sortons jamais.
La volonté indéterminée et absolue est une illusion. Ce qu'on appelle souvent le libre arbitre n'est qu'une chimère. Ce qui me fait vouloir, désirer, fait partie du réel, dépends du passé et tend vers le futur. La volonté est donc prisonnière du réel et de la nécessité.
Si nous partageons tous le même réel (quoique?), nous n'avons ni le même passé, ni le même futur et ni surtout la même nécessité.
Quant à la liberté d'esprit, l'esprit est libre et ne doit obéissance.
La raison n'obéit qu'à elle même et la vérité. On ne choisit pas la vérité, on s'y soumet. Elle s'impose nécessairement à celui qui la connaît.
Or ressentons- nous tous la "même vérité"?
Si je dit, il pleut, et qu'il pleut effectivement, cela ne dépendra point du sujet. Pour des sujets, aussi différants que possibles, à cet instant et à cet endroit, il pleut, c'est tout. Point barre.
Soit, mais l'enseignement tiré par cette vérité ne sera pas le même pour tous, et c'est ce qui nous importe concernant les rapports humains. Cette vérité ne sera pas ressentie de la même façon qu'on soit agriculteur ou maître nageur!
Insistons; ce qui nous importe ici, c'est bien plus la compréhension, le ressentie de cette vérité, que la vérité absolue!
En d'autre mots, si il y a une vérité absolue, sommes nous capable de l'appréhender d'une façon absolue ?
Autre exemple:
Qu'est ce qui peut mieux représenter la "vérité absolue" que les mathématiques, reine des sciences dites "exactes".
Une science donc qui reflète la vérité je serais tenté de dire "pure". La vérité indiscutable (mathématique?)
Un 2 n'est pas un 3 ni autre chose qu'un 2, et un triangle ne sera jamais un carré.
Et pourtant dans un ensemble l'utilisation du même 2 sa compréhension, son sens dépendra du sujet.
Un sondage qui exprime une probabilité ou une vérité mathématique, et une et une seule, ne sera pas compris de la même manière par tout le monde.
Si on vous dit que sur 100 personnes 10 sont sportives, cela n'aura pas le même "sens", la même signification pour le sociologue et le médecin, ni pour le fabriquant de cigarette.
Pourtant 10% est 10%, et rien d'autre.
Si la vérité est unique, la vérité de chacun est différente.
Albert Einstein disait:" pour autant que les lois mathématiques renvoient à la réalité, elles sont incertaines, et pour autant qu'elles sont sûres, elles ne font plus référence à la réalité."
Quand au sens/sensibilité nous n'avons évidemment pas tous les mêmes capacités physiques, ni le même ressenti.
La phrase: Il fait très chaud aujourd'hui, sous entend en fait qu'il fait très chaud pour le sujet, pour celui qui s'exprime. S'agissant donc des sensations ou de stimulus externes, cela semble aller de soi. On comprend aisément que nous ne soyons pas égales devant le chaud, le froid, la douleur ou le plaisir.
Mais il en est de même s'agissant de certaines "valeurs", qui peuvent parfois être même considérées comme vertus. Prenons pour exemple "la volonté".
- Il faut beaucoup de volonté pour rester mince ou se muscler.
Mais la volonté est avant tout une question de "biologie", je dirai de métabolisme.
Si vous n'aimez pas le "sucré", il vous sera facile de faire un régime, mais dans le cas contraire?
Si vous êtes du matin, il vous sera plus facile d'aller à l'entraînement à huit heure en pleine possession de vos moyens, que si vous êtes du soir. Si vous avez des muscles qui répondent bien à l'effort, un métabolisme qui brûle bien les graisses, les choses vous seront facilitées. Alors certes il faut de la volonté mais selon le sujet. La volonté elle même n'est chimiquement parlant comme le dit H Labori qu'une affaire de sécrétion surrénale.
Qu'en est – il alors du courage, de la douceur ou même de l'amour.
Alors si les mots naissent des idées, les idées prennent forme grâce aux mots
Revenons à la définition de la pensée selon Platon: " ce dialogue de l'âme avec elle même".
Si l'homme est un animal qui "pense, il est surtout celui qui réfléchit".
Cette réflexion passe aussi par le langage, l'outil suprême de la communication. Car il faut bien désigner et "se désigner" ce qu'on ressent. Donner une signification aux idées et aux sensations.
L'homme pense et "se pense". La pensée et le langage vont de paire.
Or nous venons de voir qu'en dehors de tout malentendu ou confusion linguistique (intralinguistique), il existe, un "flous" fondamental même quant à la compréhension des notions.
Si nous arrivons tout de même, tant bien que mal à communiquer, c'est parce que nous comprenons dans "l'ensemble".
Quand je dis "cet objet est froid", on comprend que je trouve cela froid et que grosso- modo, et comme je suis un homme compris dans la moyenne(non doté de sens extraordinaire), cet objet devrait l'être pour la plupart.
Mais surtout en disant cette phrase, je renvoie mon interlocuteur à sa propre expérience du "froid", et donc à sa propre compréhension du concept qui, à ce moment prend un sens pour lui.
Si je dis "c'est bon d'agir comme cela", cela suppose que je trouve cela bon (car je le désir selon Hobbes). Ce qui renvoie mon interlocuteur à sa propre expérience du désir et du bon, et c'est cela qui lui donne un sens à mon propos.
Mais ce "bon" est, et sera toujours subjectif. Car d'après ce que nous venons de dire le bon pour moi, n'est pas le bon pour l'autre (même si dans un cas précis ce qui est bon pour moi peut, dans l'absolu, également l'être pour l'autre), la compréhension intrinsèque, le "ressenti" même du mot "bon" n'est pas identique .
Louis Lavelle disait: "la parole des hommes est à mi-chemin entre le mutisme des animaux et le silence des dieux".
C'est pourquoi Arendt dit:" nous avons cessé de vivre dans un monde commun ou les mots que nous avons en commun ont un sens indiscutable", ou encore " si nous nous comprenons encore les uns le autres, nous ne comprenons pas ensemble un monde commun à tous, mais que nous comprenons l'argumentation sous son aspect formel.
Sauf que pour Arendt cela est dû à la culture moderne, et que pour moi cela a toujours était et le sera.
Comment ressentir la même réalité, alors que nos sens ne sont identiques?
Et si nous ne sentons pas la réalité de la même manière, comment le formuler d'une façon absolue?
Comment voir un même monde avec des yeux différant?
Si ma sensibilité diffère, si ma compréhension est unique et si les "mots" que j'utilise, bien que compris dans leur ensemble n'ont de significations que relatives à ma compréhension, comment trouver un sens commun aux choses?
Comment trouver une signification "partagée" au réel.
Comment construire un monde pour tous?
Voilà peut-être une des raisons de la violence.
"Incapable d'avoir un sens commun" l'homme ne peut avoir un monde commun et par conséquent point de but commun.
Impossible? Peut-être mais ne désespérons pas, car comme l'a dit si bien Marcel Pagnol: "ce que nous tenons pour impossible, un jour, arrivera un imbécile qui ne le saura pas, et qui le fera…"
par K.Taher